Entrevues
July 15, 2023

Entrevue avec Yves Rocher Amérique du Nord – Mise en place d’une démarche de gestion des matières résiduelles

La voie de l'éco-responsabilité : Yves Rocher s'engage pour un avenir plus vert

Depuis près de 10 ans, COESIO accompagne des organisations dans leur démarche stratégique, tactique et opérationnelle en développement durable et particulièrement, sur leur gestion des matières résiduelles. Cette année, nous prenons le temps de discuter avec certaines d’entre elles pour faire le point sur leur accomplissement, les obstacles auxquels elles ont pu faire face et les opportunités en découlant. Dans cette série de publications, vous aurez la chance de découvrir les détails de leurs apprentissages, évolutions et succès en gestion des matières résiduelles afin de pouvoir vous inspirer à passer à l’action.

Nous discutons aujourd’hui avec Annie Julien et Geneviève Chevalier, respectivement Directrice des opérations et Chargée de projet impression chez Yves Rocher division Amérique du Nord, entreprise de distribution de produits de cosmétiques. Sensibles à l’empreinte écologique des activités de l’entreprise, Annie et Geneviève ont toutes les deux participé à une démarche d’optimisation de la gestion des matières résiduelles entreprise par l’organisation. Elles nous partagent leur expérience.

Qui est Yves Rocher ?

Passionnée et engagée depuis 1959, la marque Yves Rocher compte aujourd'hui 54 succursales, un siège social situé à Longueuil, et plus de 450 employés à travers le pays (Québec, Ontario, Nouveau-Brunswick). Ayant un modèle d’affaires unique, Yves Rocher a créé une cosmétique née d'un savoir-faire unique qui allie un engagement pour la nature, le respect des communautés et une passion pour le bien-être, tout en permettant aux personnes de se reconnecter à leur vraie nature. À la fois botaniste, fabricante et détaillante, Yves Rocher est la seule marque mondiale de produits de beauté ayant fait le choix de maîtriser l'ensemble du cycle de vie de ses produits : de la plante à la peau de ses 30 millions de clientes.  

La démarche d’optimisation de gestion des matières résiduelles a été initiée par la division Amérique du Nord d’Yves Rocher, principalement responsable de distribuer les produits conçus en France, à travers le marché nord-américain.

Nos intervenantes

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Annie Julien, Directrice des opérations.

Ayant rejoint l’équipe Yves Rocher en 2007 en tant que Responsable Assurance Qualité, Annie Julien occupe présentement le poste de Directrice des opérations.

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Geneviève Chevalier, Chargée de projet impression.

Œuvrant chez Yves Rocher depuis 11 ans, Geneviève Chevalier travaille comme Chargé projet impression. Précédemment à ce poste, Geneviève a débuté sa carrière comme estimatrice dans le secteur de l’imprimerie.

Quel est l’historique de l’intérêt d’Yves Rocher Amérique du Nord envers la gestion des matières résiduelles ?

Annie Julien

Dès mon arrivée il y a 15 ans, cela faisait déjà partie des valeurs intrinsèques de la marque Yves Rocher de se reconnecter à la nature, de prendre conscience de l'environnement et de comprendre que chaque geste compte. Donc la responsabilité sociale est vraiment intégrée dans les valeurs de l'entreprise. Au niveau de la gestion des matières résiduelles, c'est en 2010 que le groupe a décidé de commencer à caractériser et analyser ce qui était généré comme déchets, puis de s'inscrire au programme ICI on recycle + de RECYC-QUÉBEC, dont nous avons reçu la certification en 2011. C'est donc une démarche qui est intégrée depuis longtemps. 

Mais c'est comme toute chose. À un certain moment, on atteint une zone de confort et les efforts s’essoufflent. Cependant, depuis 3 ans, chaque employé est obligé d’intégrer dans ses objectifs SMART, des projets à vocation environnementale. C'est de là qu’a émergé une panoplie de petits projets, autant des projets collaboratifs, que des initiatives individuelles. Par exemple, une bibliothèque de partage de livres usagés a été mise en place, ainsi qu’une benne de recyclage de vêtements usagés. Le recyclage des mégots de cigarette et le recyclage des crayons sont également des initiatives découlant de l’engagement de Yves Rocher Amérique du Nord depuis plusieurs années.

Geneviève Chevalier

Yves Rocher, Amérique du Nord a également mise en place un comité Globules verts depuis une dizaine d'années, dont je fais partie. Ce comité se rencontre mensuellement pour discuter de la responsabilité sociale de l’entreprise et inciter les employés à adopter des modes de vie plus sobres. L’année dernière, le comité a partagé des informations sur les bonnes pratiques de recyclage, ainsi que des idées pour transformer les matières recyclables en œuvre d'art. Cette année, le comité a mis l’emphase sur des pratiques « zéro déchet », partageant des recettes de produits ménagers maison ou des techniques de création de « mini jardins », en recyclant par exemple la base d'une laitue romaine par exemple. Ainsi, depuis au moins 10 ans, même pendant la période de pandémie, le comité a trouvé une manière de maintenir les employés sensibilisés à la cause environnementale. 

Reconnaissance des efforts de Yves Rocher par la certification B Corp

Annie Julien

Nous avons comme objectif en tant que filiale, mais également comme objectif découlant du Groupe Rocher, d’obtenir la certification B Corp d’ici 2025. Pour atteindre le nombre de points requis par la certification, et nous responsabiliser de façon plus globale, nous avons choisi de participer au Programme EVO2030 de COESIO. C’est donc notamment par un accompagnement visant l’amélioration de nos pratiques de gestion des matières résiduelles, incluant la caractérisation terrain, l’amélioration du taux de détournement des matières de l’enfouissement et la mise en place de procédures, que nous y arriverons.  

Mise en place d’une structure de gestion des matières résiduelles

Annie Julien

L’accompagnement nous a permis d’apprécier nos points forts et d’identifier les pratiques ou les angles morts sur lesquels on pouvait s’améliorer. Ainsi la démarche témoigne de bons résultats: 96% de nos matières sont soit recyclées, soit valorisées. Néanmoins, on a aussi pu constater que certaines pratiques que la division avait mise en place à l'époque se sont tranquillement perdues. Je pense notamment au recyclage de papier qui était fait auparavant. Puis avec la pandémie, la mise en place du télétravail et la cessation des activités de l’entrepreneur de recyclage de l’époque, le taux de détournement des matières a peu à peu perdu du terrain. On a pu rapidement trouver une solution, puis dans le même mois, mis en place la correction. Une situation similaire se prête au plastique. L’ensemble des contenants de plastique retrouvés dans nos déchets lors de la caractérisation ont été redirigés dans un service de collecte adéquat. Je pense également que l'humain prend parfois des voies de contournement. Ainsi, le fait de prendre un pas de recul, de solliciter un service de caractérisation des matières résiduelles, notamment en pesant chacun de nos trognons de pommes, nous a permis de prendre le temps de faire le bilan et de donner un second souffle à quelques pratiques de gestion des matières résiduelles qui nous avait échappées au courant des dernières années.

Méthodologie de la démarche en gestion des matières résiduelles

Le Québec est actuellement en phase de transition rapide en ce qui concerne la gestion des matières résiduelles. Plusieurs enjeux font pression sur le système de gestion des matières résiduelles (GMR) au niveau national :

  • Modifications apportées à la Loi sur la Qualité de l’Environnement par le projet de loi 65 ;
  • Remplissage rapide des lieux d’enfouissements techniques ;
  • Déploiement de la modernisation des systèmes québécois de consigne et de collecte sélective dès 2025 ;
  • Crise du recyclage engendrée par la fermeture des marchés asiatiques.

Pour se différencier du marché et être meneur dans la transition du système économique vers un système de circularité des matières, les entreprises doivent mettre en place des pratiques suivant la priorisation des 5R : refuser, réduction à la source, réemploi, recyclage, puis revalorisation. Cette hiérarchisation stratégique permet de prioriser les moyens de réduction de MR pour optimiser l’utilisation des ressources.

Pour planifier judicieusement les moyens de GMR à implanter, il convient d’entamer la démarche par un bilan des matières résiduelles. Celui-ci permet de connaître la quantité et les types de matières générées par les activités de l’entreprise. Selon ces informations, et selon les cibles de réduction des MR établies par les entreprises, les moyens de réduction doivent être judicieusement choisis selon la priorisation 5R. Cette optimisation s’effectue dans une perspective de cycle de vie des matières, pour l’ensemble de la chaine de valeur des entreprises.

GMR 1

COESIO offre un accompagnement structuré en 4 phases pour les gestionnaires d’entreprise afin de saisir les points chauds de rejets, identifier les potentiels d’amélioration, structurer le suivi de l’efficacité de la GMR et mettre en place un cadre des saines pratiques de valorisation

  1. Formation d’un comité de GMR et visite d’entreprise

Les entreprises sont invitées à former un comité GMR dédié à la démarche et à l’amélioration de la performance. Des premiers échanges ont lieu entre l’équipe d’expert de COESIO et le comité pour valider les enjeux, identifier les données disponibles (achats, factures, levées) et préciser l’approche méthodologique de caractérisation à déployer.

  1. Caractérisation des matières résiduelles

L’équipe de COESIO s’attarde à réaliser une analyse des données collectées sur le site lors de la caractérisation exhaustive des rejets de matières résiduelles (accumulation de matières sur 5 jours) afin de dresser le potentiel de valorisation des matières résiduelles générées par l’entreprise. Cette analyse est bonifiée par un inventaire des moyens de collecte sur site.

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Figure 2 : Exemple de résultats tirés d’une caractérisation GMR
  1. Planification

Par le biais d’ateliers de travail collaboratifs, COESIO accompagne les entreprises dans la planification d’actions concrètes et la mise en place d’un système de suivi de GMR efficace et approprié à son contexte. Les experts de COESIO proposent une politique de GMR respectant la hiérarchie des 5R ainsi que des recommandations de valorisation.

  1. Mise en œuvre

L’entreprise est ensuite accompagnée dans l’intégration de solutions de collecte, d’affichage et de valorisation des matières, tout en misant sur une participation des parties prenantes internes à travers des ateliers de travail, de sensibilisation et d’implication.

Avez-vous rencontré des difficultés à vous préparer pour la caractérisation des matières résiduelles, ou des difficultés à recueillir les données secondaires ?

Annie Julien

Nous sommes assez privilégiés. Yves Rocher Amérique du Nord réalise des redditions de comptes mensuelles envers le groupe. La collecte des données de gestion des matières résiduelles était quelque chose qu'on pilotait déjà. Ça ne doit pas arriver souvent que les sièges sociaux exigent de leurs divisions ce type de reddition de comptes. Nous sommes même audités par une firme externe pour vérifier nos redditions de comptes de gestion des matières résiduelles. Nous conservons donc tous les bons de commande et pesons certaines matières au besoin, pour valider les informations communiquées.

Est-ce que la mise en place de cette démarche représente un coût important pour Yves Rocher ? Y voyez-vous des possibilités d’économies?

Annie Julien

Il n’y a pas de dépenses supplémentaires majeures qui ont été engendrées. Par exemple, si nous décidons d’aller de l’avant et remplacer l’usage de pellicule plastique pour l’emballage de palette, par un système d’emballage réutilisable, nous aurons inévitablement des frais supplémentaires. Cependant, un retour sur investissement est possible. Le recyclage de papier va également générer des économies, étant donné qu'il est maintenant possible de jumeler la matière avec notre collecte existante de carton sans frais supplémentaire. Nous économiserons ainsi sur la tonne envoyée à l’enfouissement. COESIO nous a également aidé à réfléchir à la réduction à la source. En réduisant la taille de nos factures, nous n’éliminons pas complètement l’utilisation de la matière, mais c'est déjà moins de papier utilisé. C’est la même situation pour la taille des étiquettes. Nous sommes présentement en train d’analyser s’il est possible de réduire la taille de celles-ci, ce qui nécessiterait probablement un coût supplémentaire pour modifier l’infrastructure numérique existante, mais à terme, si l’étiquette coûte moins cher parce qu’elle est plus petite, il y aura forcément une économie. 

Geneviève Chevalier

À la suite de l’accompagnement, nous avons rapidement rejoint la collecte sélective offerte par la Ville de Longueuil. Un employé interne a maintenant comme tâche de veiller à ce que les bacs soient bien déposés à l’extérieur, ce qui ne représente aucun coût supplémentaire pour l’entreprise. Avec la démarche, je pense que les employés ne se posent plus de questions sur la gestion des matières résiduelles et sont beaucoup plus sensibilisés. La démarche ne représente pas de coût supplémentaire, elle est surtout utile comme prise de conscience sur les bonnes pratiques qui ont été perdues avec la pandémie.  

Est-ce que des réflexions à long terme sur le changement de décision stratégique ont émergées suite à la démarche ?

Annie Julien

Les réflexions sur la gestion des matières résiduelles existaient déjà. On le voit même dans la réflexion de nos produits qui sont conçus en France, avec des produits de base solides, pour tendre vers des produits sans emballage de plastiques. Même au niveau des emballages, des efforts d’écoconception ont été mis de l’avant pour réduire la quantité de matière utilisée. Par exemple, nous avons des emballages ouverts sur les côtés, nécessitant moins de carton. La démarche cependant a été utile pour mettre du vent dans les voiles dans les engagements de l’entreprise.

Quelle est votre perception face à la résistance au changement pour les futurs projets d'amélioration de la gestion des matières résiduelles ?

Geneviève Chevalier

Je pense que l’ensemble des employés ont beaucoup d'ouverture d'esprit. J'ai même appris que plusieurs employés ont rejoint l’entreprise en raison des pratiques responsables en place et pour la vision du Groupe Rocher. Pour certaines actions, nous rencontrerons probablement certaines embûches, mais je pense que les employés sont engagés et sont prêts à faire leur part. 

Quels résultats et quels impacts ont finalement eu cette démarche sur l’entreprise ?

Annie Julien

La première, c'est de voir qu'il y a quand même des choses qu'on faisait bien. Ça nous a permis de valider que nous sommes sur la bonne route. Deuxièmement, les volets stratégiques et opérationnels de la démarche ont été très utiles, puisqu’il est possible de faire le suivi à court et moyen terme des actions à mettre en place, tout en identifiant des responsables de projet. Plusieurs actions ont été attribuées à des membres de l’équipe et sont déjà entamées. D’ailleurs, pour les projets à plus long terme, nous prévoyons que certains employés seront intéressés d’en prendre la responsabilité pour compléter leurs objectifs de rendement SMART.  La feuille de route issue de l’accompagnement COESIO devient un outil pour l’ensemble des employés.

Geneviève Chevalier

Je trouve que la feuille de route d’opérationnalisation est agréable par sa visibilité. On voit ce qu’on fait déjà de bien et les points où nous devons mettre davantage d’efforts. L’outil est également utile pour communiquer sur l’avancement de notre stratégie RSE.

Pensez-vous que cette réflexion permet de renforcer la pérennité de votre organisation et d’anticiper l’avenir ?

Geneviève Chevalier

Pour le Groupe Rocher, la gestion des matières résiduelles c'est très important. C’est certain que la démarche a solidifié notre performance à ce niveau et a pérennisé notre sensibilisation à ces enjeux. La démarche nous permet de développer des réflexes par rapport aux bons choix de gestion des matières résiduelles. Les bonnes pratiques de gestion des matières résiduelles ne sont pas une mode éphémère, c'est un mode de vie.

Annie Julien

C’est à nous de piloter le projet. On doit continuer de bien faire et de s’assurer que l’entreprise ne retourne pas dans de vieilles habitudes. Nous avons mis l’emphase sur ce que nous faisons de bien, ce qui a donné du vent dans les voiles, sans avoir à effectuer de gros changements radicaux.

Qu'est-ce qu'on vous souhaite pour le futur ?

Annie Julien

Nous visons à obtenir les points nécessaires pour obtenir la certification B Corp au niveau du Groupe Rocher et nous responsabiliser de façon plus globale. Au niveau de la gestion des matières résiduelles, nous souhaitons continuer nos efforts pour trouver des solutions pour réutiliser les matières, puis mettre en place les actions nécessaires pour assurer un bon tri des matières.  

Est-ce qu'on vise éventuellement d’intégrer pleinement le concept d'économie circulaire et tendre vers le zéro déchet ?

Annie Julien

C'est sûr que ça serait génial de dire que l’ensemble de nos livraisons est réalisé par camion électrique et de permettre à nos clients de consommer l’ensemble des produits en vrac. Je ne pense pas qu'il est possible d’y arriver facilement, mais je pense qu'un éléphant se mange par petites bouchées, donc il ne faut pas arrêter de marcher. Un petit pas à la fois, on va y arriver. Peut-être qu’on ne sera jamais zéro déchet, mais on avancera pour y tendre le plus possible. 

Enfin, quel conseil donneriez-vous à une entreprise qui veut faire la même démarche que vous?

Annie Julien

Je recommande à n’importe quelle entreprise de se lancer à 100%. Par exemple, dans l’accompagnement COESIO, on obtient des conclusions simples et visuelles permettant de prioriser les actions d’amélioration de gestion des matières résiduelles. Je crois que chaque entreprise devrait participer à une démarche semblable pour prendre conscience de la quantité des matières résiduelles générée, identifier ce qui est bien fait et ce qui pourrait être amélioré. Aujourd’hui cela devrait être obligatoire. C’est important de prendre conscience de notre empreinte écologique, autant au niveau de notre entreprise, que dans notre vie personnelle. La démarche m’a également donné envie de caractériser les déchets générés dans ma vie personnelle. Je suis persuadée qu'en me penchant sur le sujet, je pourrais identifier des pistes d'amélioration dans ma GMR à la maison.

Rédigé par :

Jean-Philippe Lanctôt, Conseiller

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